6 mars 2013

Mort de Chávez : un mythe s'éteint et des questions demeurent.


La journée du 5 mars fut rouge. Rouge, comme la couleur du carton reçu par Nani, l’ailier de Manchester United (qui joue en… rouge) lors du choc de Ligue des Champions contre le Real Madrid. Rouge, comme les teintes dominantes des manifestations syndicales de la CGT et de FO dans les rues françaises. Pourtant, c’est un tout autre rouge qui a attiré l’attention en ce 5 mars. L’information s’est répandue comme une traînée de poudre dans le monde entier : Hugo Chávez, le prince rouge du Venezuela est mort. Un mythe s'éteint et des questions demeurent.

Petit orateur deviendra grand.

Enfant, il avait été choisi pour dire quelques mots afin de saluer le premier évêque de l’État très pauvre de Barinas, de passage dans son petit village. Il n’avait pas plus d'une dizaine d’année et était rouge mais de timidité. Lui, c’était le petit Hugo, qui apprivoisait le micro dès sa plus innocente jeunesse. Ou du moins, c’est cette histoire ce que feu le leader vénézuélien avait l'habitude de raconter pour expliquer son charisme devant un auditoire. Un peu moins d'un demi-siècle plus tard, le jeune garçon s'était transformé en un ogre de pouvoir, notamment grâce à sa fabuleuse éloquence et c'est rouge de colère qu'il haranguait les foules.

« Je sens que Chávez, ce n’est pas moi. Que Chávez est un peuple. Je suis un peuple, je me sens incarné en vous, vous être tous des Chávez, nous sommes tous des Chávez ». Que s’est-il donc passé, en l’espace de 50 ans, pour que le petit Hugo s’adressant à l’évêque, timoré face à l’écho du micro, se mue en un politicien populiste, mythe en son pays, avant de s’éteindre après deux ans de combat face à un cancer incurable ?

Hugo Chavez, vêtu de son traditionnel treillis militaire et de son béret rouge, en plein discours. 

Bolivar, ce héros.

D’origine très modeste, le natif de Sabaneta, fils d’enseignants engagés politiquement [son père fut 3 fois gouverneur de l’État de Barinas, ndb] commence à forger sa propre idéologie lors de sa scolarité au Daniel Florencio O’Leary School, lycée de Barinas, la plus grande ville de son état. En fréquentant quelques contestataires de la dictature de Marcos Pérez Jimenez (1952 - 1958), il montre un intérêt croissant pour les écrits de Bolivar [héros de l’indépendance du Venezuela, surnommé le Libertador, ndb], dont il s'inspire lors de ses premiers pas politique à son arrivée à l’académie militaire. Il développe donc, avec ses compagnons d’études, une doctrine de gauche nationaliste baptisée le « Bolivarianisme ».

Une fois ses études terminées et après être entré dans l’armée, le jeune Hugo continue de forger son esprit politique. Frappé par la tentative du général panaméen Torrijos de reprendre le contrôle du canal de Panamá aux États-Unis dans les années 1970, il place au cœur de sa doctrine naissante le rejet de leur intrusion dans la politique interne de l’Amérique Latine. Il façonne également son désir de proximité avec le peuple et prend une orientation politique volontariste de gauche visant à aider les plus démunis.

C’est ainsi qu'excédé par la politique proaméricaine et corrompue de Carlos Andrés Pérez, président de 1974 à 1979 puis de 1989 à 1993, il lance en février 1992 une tentative de coup d’État, avortée par le pouvoir. Emprisonné, Chávez n’abandonne pas et enregistre même une cassette appelant le peuple à s’insurger. Il fomente même, depuis son cachot, une seconde tentative qui est elle aussi tuée dans l’œuf. Échec, certes, mais pas échec et mat, comme dirait l’autre. Libéré deux ans plus tard, Hugo le quadragénaire, déjà devenu vétéran politique, finit par remporter les élections présidentielles de 1998 avec 56% des voix. 

On l’appelait l’idole du peuple.

La suite, on la connaît presque par cœur. Lors de son premier mandat, le leader vénézuélien transforme radicalement le pays, développant une économie beaucoup plus populaire, presque protectionniste, ou du moins fermée aux investissements venus des États-Unis. Il travaille à améliorer la situation jusque-là difficile des plus démunis, surtout dans le secteur de l’éducation ou de la santé.

Une assemblée constituante est élue peu après son investiture et rédige une une nouvelle Constitution « Bolivarienne et Participative », promulguée par référendum. Le texte, populiste, vise à protéger les droits des plus pauvres concernant l’éducation, le travail, la santé ainsi que ceux des minorités indiennes [la famille de Chávez est d'origine indienne, ndb]. La crainte de ses adversaires politiques est réelle face à ce changement brutal : le pays a même reçu un nouveau nom, la « République Bolivarienne du Venezuela » et les pouvoirs du président ont été étendus (le mandat est passé de 4 à 6 ans et il a obtenu le droit de dissoudre  le Parlement).

Ce qui a d'abord été vu par l'opposition comme un danger finit par être intolérable : la conjugaison des constantes allocutions sur les écrans des chaînes nationales, son treillis militaire, ses décisions unilatérales, son attitude anti-impérialiste et surtout ses décisions visant à encore augmenter son pouvoir, tout cela  inquiète de plus en plus. Réélu en 2000, conforté par le peuple mais détesté par l’élite, Chávez va toujours plus loin,. S'appuyant sur les plus pauvres, dénigre les plus riches et les plus cultivés, perdant l’appui des intellectuels de tous bords. En 2002, il fait face à un coup d’État de l’opposition, qui échoue... dans le rouge sang. Surfant sur cette vague brisée par sa personnalité alors devenue presque céleste, il continue donc à s’attaquer aux « profanes », qui n’arrêtent pas de le critiquer, notamment lors d'importantes grèves en décembre 2002 organisées par l’opposition mais finalement gardées sous contrôle du président.

« Jusqu’à ce que Dieu lui donne la vie. »

C’est alors que le vrai visage de ce leader sud-américain se révèle. Chávez appuie de plus en plus son pouvoir sur sa proximité avec le peuple et est conforté par un référendum en 2004, provoqué par l’opposition avec une idée simple : « pour ou contre Chávez ? » Le résultat est net et sans bavure. Près de 59% des scrutins sont en faveur de l'amoureux du baseball [Chávez rêva pendant longtemps d’attirer l’attention des franchises américaines quand il était jeune et finira bien par être lanceur, mais seulement lorsqu’il fut invité au coup d’envoi d’un match des Mets de New York après avoir été élu président, ndb]. Le poulpe bolivarien s’empresse alors de prendre le contrôle des derniers secteurs qui lui échappent encore : la presse, la télévision nationale et la société nationale de pétrole, ou PDVSA [Petróleos de Venezuela SA, ndb].

La trajectoire ascendante de Chávez se poursuit. Il gagne une nouvelle élection en 2006 avec 63% des voix, ce que l'opposition dénonce, parlant du « sacre d’Hugo Ier ». En 2007, il passe un décret lui accordant les pleins pouvoirs afin de mener à bien la révolution socialiste. Il obtient ainsi la possibilité de se représenter « jusqu’à ce que Dieu lui donne la vie ». Sa victoire de 2012, malgré un cancer décelé quelques mois plus tôt, confirme cette idée que seule la mort lui fera quitter le pouvoir. C'est arrivé en ce 5 mars 2013, une journée rouge sang pour les Vénézuéliens en deuil.

Capture d'écran de la diffusion par la chaîne Telesur de la procession funéraire d'Hugo Chavez à Caracas, le 6 mars.
Le cercueil de Chavez en procession dans la foule rouge de Caracas, capture d'écran de la  Telesur.

Caudillo, Populista ou Objet Politique Non Identifié ?

Juger la personnalité de Chávez reste objectivement très difficile. L'attitude d'hyperprésident du leader vénézuélien pourrait permettre de l'incorporer dans les définitions type d'un Caudillo ou d'un leader populista. Ce sont deux expressions propres à l'Amérique Latine qui restent néanmoins floues et à nuancer. A l'origine, le Caudillo serait un homme politique du XIXème siècle, basant son pouvoir sur les masses qui suivraient un leader représentant les valeurs du pays qu'il gouverne. Chávez ne correspond pas exactement à ces critères, n'étant pas un grand propriétaire terrien contrairement aux autres exemples historiques comme le Mexicain Santa Anna notamment. Le fait de posséder des terres a historiquement poussé le peuple à accorder un soutien sans faille aux leaders qui étaient également leurs patrons.

Le terme populista serait donc plus adéquat, dans le sens latino-américain du terme. Chávez a basé son pouvoir sur les masses, utilisant l'ombre terrible des élites ou des impérialistes pour justifier les difficultés de son pays. Son idée de révolution socialiste s'inscrirait donc dans cette thèse où l'objectif est d'ôter des mains des plus riches les appareils d'Etat ou de l'économie. Cela pourrait également justifier sa haine féroce des Etats-Unis, ce « grand Satan » responsable de tous les maux du Vénézuela. Ce qualificatif peut cependant être à double tranchant. Il est clair que les réussites économiques, sociales et culturelles de Chávez sont nombreuses, de la rénovation de nombreux hôpitaux à l'alphabétisation de plus de deux millions de Vénézuéliens. Mais ce Nouveau Populisme a également une part sombre, permettant à un président d'être au pouvoir depuis 1999, limitant les libertés de l'opposition, arrangeant les constitutions en sa faveur ou encore forçant à l'exil des milliers de Vénézuéliens inquiets pour leur sécurité.

Cette Objet Politique Non Identifié restera cependant un grand homme du continent latino-américain. Vu comme un messie par de nombreux gouvernants et peuples de cette région du monde, il a réussi à fédérer beaucoup de dirigeants du continent. Il a ainsi rejeté l'influence des Etats-Unis dans la région, fait l'apologie de son idéalisme de gauche, le « Bolivarianisme » et s'est rapproché des vilains petits canards de cette partie du monde, à l'image de Cuba. Son influence était donc réelle : il a apposé sa marque à un nouveau mouvement, celui d'un nouveau populisme, comme en Bolivie, en Equateur ou en Colombie. Sur le plan international, ses flirts avec l'Iran, l'ennemi public numéro 1 de l'Occident et ses relations avec la Corée du Nord ont été grandement critiquées.

Une peur « rouge du vide ».

Mais le vide le plus important que laissera la mort du leader charismatique reste bien sûr un vide national. Des nouvelles élections seront organisées très prochainement et permettront d'assister à la lutte entre Nicolás Maduro, le vice-président et proche de Chávez, et Henrique Capriles, leader de l'opposition défait en octobre 2012. L'absence de vraie personnalité charismatique, qui a peut-être pour cause l'hyper présidence à tendance populiste de Chávez depuis 1999, risque de devenir problématique. Les luttes de pouvoir dans son propre camp laisseront plus de chances à une opposition finalement débarrassée de son meilleur ennemi. Les prochains jours nous révéleront l'attitude des deux camps. Espérons que le rouge sang passe de mode au Vénézuela.

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